Le pillage des sites archéologiques français

>Le pillage des sites archéologiques français

Le pillage des sites archéologiques français

par Jean-David Desforges

Article au format pdf

Remarques liminaires
Le détecteur de métaux est un appareil militaire. Utilisé aux lendemains de la Seconde Guerre mondiale pour le déminage et la recherche de matériel abandonné sur les zones de manœuvre, il entre dans le civil par le biais de la vente des surplus. C’est d’abord aux Etats-Unis que des particuliers, parmi lesquels de nombreux vétérans, s’équipent avec de très encombrants modèles, à l’électronique rudimentaire, pour satisfaire leurs recherches sur les sites de la guerre de Sécession. Les premiers détecteurs de métaux utilisant parmi leurs composants des transistorssont fabriqués dans les années 1950-1960. L’évolution de l’appareil suivant les progrès de l’électronique, il s’allège et son autonomie augmente. La production est alors toujours orientée vers l’usage militaire et la sécurité. L’utilisateur peut seulement distinguer les différences entre les métaux ferreux et non ferreux par une baisse du niveau sonore du buzer. C’est en 1974 qu’est déposé le brevet pour un discriminateur réglable, permettant de sélectionner le type du métal à détecter. Depuis les années 1980, parallèlement à l’augmentation des affaires de vandalisme sur des sites archéologiques, le confort et la performance des détecteurs de métaux vont croissant. Le but avoué est d’augmenter le rendement du prospecteur-détecteur ou, autrement dit, du chasseur de trésors. Des systèmes permettent désormais de rejeter le fer et les rebus en alliage contemporain. Par conséquent, il est plus simple de cibler les mobiliers métalliques archéologiques à des profondeurs supérieures à une quinzaine de centimètres. Désormais, en complément du détecteur de métaux basique, il est possible d’utiliser des détecteurs à induction pulsée permettant d’atteindre des profondeurs de 1 m. Ces appareils eux aussi d’abord destinés aux services de déminage, sont dévoyés vers le pillage archéologique. Il en est de même des magnétomètres détecteurs de bombe qui sont particulièrement prisés sur les sites de mémoire combattante. Le dernier produit en date est le radar de sol permettant de repérer des masses métalliques à de très grandes profondeurs. La majorité de ces appareils n’est pas produit en France, mais importée et commercialisée dans quelques boutiques spécialisées ou tendant à la spécialisation en matériels destinés à la chasse aux trésors.

Introduction
Voici vingt ans, la France se dotait en complément de la loi Carcopino d’articles visant spécifiquement l’utilisation et la commercialisation de détecteurs de métaux. Rendue impérative pour la préservation et l’étude à court et long termes du patrimoine archéologique, la loi 89-900 marque un point de saturation face à une pratique décrite par plusieurs acceptions : la prospection, la détection de loisir, la chasse aux trésors. Cette activité présentée comme un loisir, ou une passion, par ses pratiquants consiste à utiliser un détecteur de métaux sur un terrain pour la recherche d’objets. L’appareil permet de sonder le sol par l’émission d’un champ électromagnétique. Lorsqu’une interférence est produite par un objet métallique, le manipulateur reçoit une information sonore. L’objet est donc immédiatement extrait du sol et collecté, qu’il présente ou non un intérêt pour la personne, qu’il s’agisse ou non d’un objet archéologique, qu’il soit inclus ou non dans une structure, un niveau, un horizon. Si la France a anticipé à l’époque la recommandation 921 du Conseil de l’Europe et les points des Conventions internationales sur le trafic et la préservation des biens culturels, dont les mobiliers archéologiques, le bilan paraît aujourd’hui maigre. En effet, il faut compter avec le lobbying de la détection qui comprend des commerçants, des utilisateurs, des associations et quelques rares chercheurs dans des domaines qu’il convient de définir comme des micro-disciplines de l’archéologie. Derrière le détecteur se cache donc un secteur d’activité négligeable économiquement mais bruyant tant il tient à survivre dans un contexte légal et culturel défavorable. Le fond de commerce de cette activité est un simulacre d’archéologie et une passion biaisée pour l’histoire, le désir de collectionner avec pour horizon le phantasme d’une fortune soudaine ou d’une reconnaissance individuelle. L’un des arguments forts de ce lobbying est l’exemple britannique, monde idéal de la prospection-détection. L’actualité récente nous donne encore des exemples de découvertes exceptionnelles de trésors archéologiques. Mais jamais on ne laisse la parole aux archéologues britanniques qui, comme leurs homologues français, pensent que ce système de libre prospection-détection est un miroir aux alouettes et une faillite de la collectivité face aux intérêts particuliers. Aussi, face à ce vandalisme, cette pratique qui, suivant les proportions qu’elle peut prendre, doit être parfois pleinement considérée comme « une archéologie noire », il est impératif de concevoir que la prospection-détection entre en choc frontal avec le Code du Patrimoine et les pratiques scientifiques historiquement en vigueur. Notre article a donc deux objectifs : dévoiler ou mettre à plat ce qu’est la détection-prospection en proposant au lecteur un état des lieux du problème ; faire le tour des solutions possibles au regard de plus de vingt ans de confrontation constante au problème de la détection rapportée par les membres de l’association Halte au Pillage.

L’utilisation des détecteurs de métaux a-t-elle un cadre réglementaire ?
          Les textes internationaux
                    La recommandation 921 du Conseil de l’Europe
Ancien, sans valeur juridique et référence favorite du lobbying de la prospection-détection, ce texte de 1981 de la Commission de la Culture et de l’Education brosse un premier état des lieux du problème détection-prospection alors que cette pratique se diffuse en Europe au cours de la décennie 1970. En France, la loi Carcopino est alors déjà largement suffisante pour classifier la prospection-détection comme un délit, assimilant la prospection à 2 une recherche et le creusement à une fouille clandestine. La situation législative des Etats voisins, insuffisante pour garantir la préservation de leur patrimoine archéologique, nécessite cependant une réflexion en prenant la prospection-détection comme un acte spécifique dont il est déjà, à cette date, impératif «d’endiguer le développement.»


Extraits de la recommandation 921 :
- « Envisager l’adoption dans les plus brefs délais de recommandations aux gouvernements visant à instituerun système de permis ou d’immatriculation pour les utilisateurs de détecteurs de métaux. »
- « Examiner d’un point de vue critique s’il y a lieu de permettre la publicité ou tout autre moyen visant à encourager la chasse aux trésors archéologiques. »
- Produire « une brochure d’information expliquant la législation en vigueur concernant les détecteurs de métaux et donnant des directives sur leur emploi, et à faire en sorte que ces brochures soient remises à tout acheteur. »
- « Encourager les musées, les archéologues et leurs associations à établir et entretenir des contacts avec les utilisateurs locaux de détecteurs de métaux et permettre autant que possible, leur participation aux fouilles sous la conduite de personnes compétentes. »
Encadré 1

Certaines des recommandations de la Commission sont reprises dans le Code du Patrimoine français tel le point concernant la publicité. L’attribution d’un permis a été mise en application en Irlande et au Portugal. En France, le projet de permis a été massivement rejeté par le lobbying de la détection. Cependant, l’utilisation du détecteur est soumise à une autorisation préfectorale délivrée par le service compétent en matière d’archéologie sur des critères scientifiques. Quant au dernier point, l’archéologie est définie en France en tant que mission de service public. Elle ne peut donc se satisfaire d’acteurs hors du circuit d’acquisition légal des données archéologiques.

                    La Convention de Malte
Ratifiée en 1992, la Convention3 prend en compte l’évolution de l’archéologie et les nouvelles menaces pesant sur le patrimoine archéologique. Elle établit clairement dans son premier article une distinction entre les pratiques anciennes et une nouvelle conception scientifique. Il ne s’agit plus dès lors de rechercher le bel objet digne d’un musée ni de faire du profit grâce aux trésors. La notion d’inviolabilité des sites archéologiques est aussi définie. Elle a pour but d’en permettre l’étude par des personnes compétentes et dotées des moyens adaptés. Enfin, l’objet ne peut être dissocié de son contexte. Par l’article 2, les Etats signataires s’engagent à instituer un système juridique de protection du patrimoine archéologique. Le troisième concerne spécifiquement la réglementation de l’utilisation des détecteurs de métaux. Elle prévoit une licence d’utilisation ou un enregistrement. Tous les appareils permettant la détection sélective de métaux sont visés par cet article car l’utilisateur est dans l’incap cité de déterminer avant de creuser s’il s’agit d’un objet archéologique ou de toute autre chose.


Le patrimoine archéologique défini par la Convention de Malte :
« [...] sont considérés comme éléments du patrimoine archéologique tous les vestiges, biens et autres traces de l’existence de l’humanité dans le passé. »
« Sont inclus dans le patrimoine archéologique les structures, constructions, ensembles architecturaux, sites aménagés, témoins mobiliers, monuments d’autre nature, ainsi que leur contexte, qu’ils soient situés sur le sol ou dans les eaux. »
Encadré 2

La Convention de Malte est transposée en droit français par le décret n° 95-1039 du 18 septembre 1995 pour entrer en vigueur le 10 janvier 1996.

          Les textes français
                    La loi Carcopino
Prohibant les fouilles et sondages sans autorisation, la loi Carcopino4 est en soi suffisante pour interdire la prospection-détection. Une enquête du Ministère de la Culture réalisée entre 1977 et 1982 recense dix-sept actions en justice pour des sondages ou des fouilles à la suite de détection : quatorze ont abouti à une condamnation, dont une peine de prison. Un arrêt de la Cour de Cassation de 1989 met à plat la finalité de l’utilisation d’un détecteur de métaux : le simple usage d’un détecteur de métaux, sans pénétration dans le sol par un corps solide, constitue à lui seul un sondage puisqu’il remplit le même office qu’une sonde ayant « pour but, en captant les ondes électromagnétiques réfléchies notamment par les matériaux enfouis, de révéler leur présence et de faciliter leur recherche. »


Article 1er de la Loi dite Carcopino :
« Art.1. – Nul ne peut effectuer sur un terrain lui appartenant ou appartenant à autrui des fouilles ou des sondages à l'effet de recherches de monuments ou d'objets pouvant intéresser la préhistoire, l'histoire, l'art ou l'autorisation. La demande d'autorisation doit être adressée au préfet de région ; elle indique l'endroit exact, la portée générale et la durée approximative des travaux à entreprendre. Dans les deux mois qui suivent cette demande et après avis de l'organisme scientifique consultatif compétent, le ministre des affaires culturelles accorde, s'il y a lieu, l'autorisation de fouiller ; il fixe en même temps lesprescriptions suivant lesquelles les recherches devront être effectuées. »
Encadré 3

                    La loi 89-900
En 1989, alors que l’arrêt de la Cour de Cassation est rendu, les textes de loi concernant spécifiquement l’utilisation des détecteurs de métaux à des fins archéologiques sont à l’étude. Les prospections, les sondages et les fouilles à l’aide de détecteur ont pris alors de telles proportions qu’il est impératif de les endiguer en amendant la loi à l’adresse de ces pratiquants. Le juge Launoy écrit que le texte de loi de 1989, de nature réglementaire « ne remet pas réellement en cause l’arrêt du 19 avril 1989 [Cour de Cassation] et ne fait pas obstacle à des poursuites correctionnelles sur le fondement de la loi de 1941 pour sondage sans autorisation.»


Loi n° 89-900 relative à l'utilisation des détecteurs de métaux :
Art. 1er - Nul ne peut utiliser du matériel permettant la détection d'objets métalliques, à l'effet de recherches de monuments et d'objets pouvant intéresser la préhistoire, l'histoire, l'art ou l'archéologie, sans avoir, au préalable, obtenu une autorisation administrative délivrée en fonction de la qualification du demandeur ainsi que de la nature et des modalités de la recherche.
Art. 2 - Toute publicité ou notice d’utilisation concernant les détecteurs de métaux doit comporter le rappel de l’interdiction mentionnée à l’article 1er de la présente loi, les sanctions pénales encourues, ainsi que les motifs de cette réglementation.
Encadré 4

                    Le Code pénal et le Code civil
En droit français, tous les vestiges archéologiques ont un propriétaire. Pour cette raison, les utilisateurs de détecteurs qui ne sont pas munis de l’accord du propriétaire du fonds sur lequel ils prospectent peuvent être poursuivis pour vol en raison de l’article 552 du Code civil et condamnés en vertu des articles 311-1 du Code pénal (vol) et 311-13 (tentative de vol). L’article 34 de la loi 2008-696 prévoit une aggravation des peines en cas de vol portant sur « une découverte archéologique faite au cours de fouilles ou fortuitement », soit de 7 à 10 ans de prison et de 100 000 à 150 000 euros d’amende. La possibilité de condamner l’utilisation d’un détecteur de métaux peut s’appuyer sur les conséquences matérielles tel le constat des trous creusés pour extraire les objets ciblés de leurs contextes. Suivant leur importance, ces trous sont une dégradation, une destruction ou une détérioration « d’un bien appartenant à autrui. » Le partage prévu par l’article 716 du Code civil en cas de découverte fortuite, soit un trésor, ne s’applique pas pour les découvertes avec un détecteur de métaux puisqu’il s’agit d’un outil permettant la recherche7. Aucun prospecteur-détecteur ne peut donc revendiquer la propriété des biens qu’il a collectés grâce à son appareil, ni les échanger ou les vendre.

Une application problématique de la loi
          La vente des détecteurs est libre
Bien que la loi existe, qu’elle soit en théorie suffisante, son application est difficile en raison de plusieurs facteurs dont le plus important est certainement la vente libre desdétecteurs. Le commerce de ce type de matériel débute en 1978 et connaît un très lentdémarrage au début de la décennie 1980. Un acteur de ce milieu, également littérateur et directeur de deux titres de presse spécialisée, se trouve alors en situation de quasi monopole, la concurrence n’émanant que de commerces consacrés à d’autres produits (armuriers et électroniciens notamment). En dépit de la promulgation de la loi 89-900 et son décret d’application en 1991, le secteur de la détection de métaux voit s’installer six entreprises importatrices. Les conflits commerciaux et les infractions à la libre concurrence et à la publicité deviennent si fréquents que le secteur finit par intéresser le Conseil de la Concurrence. Si la commercialisation des détecteurs en France a augmenté, c’est en raison de la recherche de débouchés de la part de producteurs étrangers. L’une des stratégies habituelles consiste en des contrats d’exclusivité pour la distribution de nouveaux modèles, ou de pseudos nouveautés dont le packaging et le marketing ont été réétudiés. Fréquemment, les dénonciations de contrats donnent lieu à de rocambolesques contentieux. Les dirigeants des sociétés importatrices françaises pratiquent eux-mêmes la chasse aux trésors. Il est souhaitable également que les commerciaux de ces entreprises soient aussi des prospecteurs-détecteurs. De là découle la mise en place de rayons connexes dans les boutiques. Il est possible d’y acheter des vêtements comme des treillis de camouflage, de l’outillage tel des pelles type US, de l’optique (lunettes de visée nocturne, jumelles) pour les sorties nocturnes ou discrètes. Enfin, deux autres types de services sont offerts par ces boutiques au travers d’un rayon librairie. Les ouvrages de la plume de certains de ces chefs d’entreprise et chasseurs de trésors y figurent en bonne place puisqu’ils se présentent comme des modèles à suivre au travers de leurs succès. On y trouve des ouvrages plus spécialisés dont la série de la Carte archéologique de la Gaule, les cartes topographiques, des recueils de la carte de Cassini, des dictionnaires toponymiques, des catalogues de typologies d’objets telles les fibules ou les monnaies. Ces objets étant les plus prisés, car les plus identifiables et collectionnables, plusieurs boutiques de détection ont tour à tour développé un rayon numismatique, accompagné d’un service d’expertise et d’achat-vente. Le réseau du commerce de monnaies est ainsi sûr d’être approvisionné. Actuellement, une douzaine de boutiques spécialisées ont été recensées, installées en centre-ville. Avec l’expansion du Web, il faut aussi prendre en considération le e-commerce. Une dizaine d’entreprises ne fonctionne que par correspondance mais ne commercialise que des produits chinois bas de gamme. Le nombre d’appareils en vente sur « ebay.fr » ou « leboncoin.fr » échappe à une estimation précise. En tout état de cause, cette apparition d’un commerce basé à l’étranger et utilisant Internet comme vecteur, produit une pression sur le commerce français. Les entreprises ont ainsi investi le Web avec des sites de présentation et de vente en ligne, doublée de facilités de paiement. Avec le Web, la stratégie commerciale s’est orientée vers la mise en place de fora où les clients peuvent échanger sur les produits mais aussi sur leurs découvertes. La consultation régulière de ces plates-formes permet entre autre de démontrer que les prospecteurs-détecteurs recherchent effectivement des sites archéologiques de manière à en extraire des objets métalliques. Il est à noter que dans tous les cas, les directeurs des commerces sont aussi les modérateurs et que ces groupements de clients se donnent des airs d’associations. C’est là un autre moyen de recruter et de fidéliser la clientèle.

          Une publicité polymorphe
                    Les magazines
Meilleure vitrine de la prospection-détection, les magazines de chasse aux trésors portent sur le matériel de détection, des faits historiques, des légendes, etc. De très faible qualité rédactionnelle, ces titres relayent régulièrement les actualités de l’archéologie issues des flux de l’AFP. Pour nourrir facilement les pages, les lecteurs sont sollicités pour présenter leurs trouvailles, demander des identifications d’objets ou en suggérer. On y lit également des rubriques de conseils sur la législation et les différentes manières de la contourner, des astuces et des discours spécieux en réaction aux courants de pensées opposés à la détection et réclamant le respect du Code du Patrimoine. Le pillage intellectuel est un fait coutumier de ces pages. On peut y retrouver des articles copiés-collés d’encyclopédies en ligne sur Internet, des résumés de quatrième page de livres spécialisés, des textes écrits à peu de frais avec des informations de seconde main glanées ici et là. Ces magazines ne présentent pas d’articles à caractère scientifique, les contributeurs étant aussi des lecteurs dont l’approche de l’archéologie se borne à la chasse à l’objet. Lorsque les auteurs ont plus de prétention, on tombe vite dans un travers pseudo-scientifique. On comprend que la tenue des rênes de ces titres ne peut pas permettre une qualité d’écriture, de réflexion et d’information lorsqu’on sait que les dirigeants soutiennent et entretiennent l’idée que la prospection-détection n’a aucune finalité archéologique. En raison de la prolifération (relative) des titres et du peu de lecteurs, on en déduit que les retombées financières sont dans les boutiques. La plupart des magazines tirent à moins de 20 000 exemplaires mais il s’agit néanmoins d’un média publicitaire parfaitement contrôlé parles commerçants du secteur.

                    Les publi-infos et les reportages à la légèreté complice
Chaque année en période estivale, les journaux hebdomadaires locaux reçoivent de la part d’un entrepreneur de la détection-prospection, également littérateur, des dossiers de presse présentant les lieux historiques susceptibles de recéler des trésors ou en ayant livré. Avançant à couvert, il commence par faire l’éloge du patrimoine local et des légendes rattachées. Des sites archéologiques et des monuments historiques sont ainsi suggérés comme cibles. Sans qu’une corrélation formelle puisse être établie, une recrudescence des témoignages d’indélicatesses et de pillage au détecteur ont été constatées à la suite de ces publi-infos, mettant la presse locale face à ses responsabilités éditoriales. Le phénomène est un peu différent dans les médias télévisés mais les effets sont les mêmes. L’archéologue allemande Gabriele Isenberg a rassemblé de la part de ses collègues des données qui permettent de bien faire la relation entre la recrudescence des pillages de sites durant l’été et le pic des reportages vantant la prospection-détection. Selon l’aveu des marchands de détecteur, chaque reportage sur le sujet provoque une augmentation des ventes. Pour le profit, le public est donc désinformé. La main tendue des chaînes est si intéressante que les marchands se mettent eux-mêmes en scène dans les reportages. Parmi leurs allégations, on entend que cette activité leur aurait permis à eux ou à des clients de collecter 2000 ou 3000 euros, voire 9000, donc des compléments de revenus qui signifient surtout qu’un détecteur serait rapidement amorti. Les images de familles et d’enfants sont également favorisées pour souligner l’innocuité de l’activité et induire des vertus éducatives. Mais lesquelles in fine ? Parmi les émissions qui rediffusent régulièrement ces reportages séduisants, on peut mentionner celui de 100% Mag sur M6 daté de mai 2008, celui des Grandes Enigmes du Passé sur France 2 (18 juin 2005), de Combien ça coûte de TF1 (février 2009)... Dans une autre catégorie, l’émission C’ dans l’Air de France 5 (30 décembre 2008) a donné clairement la parole à des entrepreneurs de la prospection-détection, mais toujours sous l’angle du loisir, oubliant la loi et opérant un amalgame dangereux entre science archéologique et vandalisme-pillage. Cette stratégie pourtant claire a été expliquée par le Ministre de la Culture en 1995 suite à la question du parlementaire Henri de Richemont sur la détection de métaux9 : « Les vendeurs de ces appareils et les revues spécialisées tirent l’essentiel de leurs arguments de vente ou de promotion de la recherche de monnaie et de trésors conduisant à ignorer aussi bien le contexte archéologique que le droit à la propriété privée [...] »

           Pourquoi détecter ?
                    Au cœur de la contradiction
Parmi les principaux arguments des tenants de la détection-prospection, nous avons donc vu que des milliers d’euros seraient dispersés dans la nature et que, partant de là, « leurs chercheurs » ne s’intéressent pas aux objets archéologiques. Mais, concrètement, à la lecture des guides de prospection, de la presse spécialisée, des sites et fora internet, aux vues des rayons dans les commerces et mêmes des publicités, selon le témoignage même des pratiquants, les objets archéologiques sont sans cesse présents. Les utilisateurs de détecteurs recherchent donc clairement des objets archéologiques qu’ils peuvent collectionner. A ce titre, ils qualifient fréquemment leur activité de « détection de loisir ». Ce terme a été inauguré par les marchands et n’a aucune valeur juridique. Pour reprendre une autre déclaration ministérielle : « la détection de loisir [...] est souvent employée par les adeptes de la chasse aux trésors pour éviter de se plier aux contraintes de la loi.  Beaucoup d’utilisateurs de détecteurs s’équipent et débutent leur activité dans l’espoir de trouver un trésor suite aux promesses d’une promotion séduisante. Souvent initiés par un membre de leur cercle social, ils peuvent aussi être pris en main par des commerçants dévoués ou orientés vers des associations émanant de ces entreprises. Ils agissent sans complexe car l’infraction qu’ils commettent, s’ils en ont conscience, a été banalisée par la fréquence de la publicité. Cela dit, la prospection-détection est une activité qui ne tient pas ses promesses, vite lassante et ingrate : le trésor est rarement au rendez-vous. Mais la prospection-détection peut aussi devenir une addiction car si l’intérêt des objets archéologiques est rapidement perçu, il y a tout lieu de mordre à la passion. Dans le cercle de la détection, les doyens pratiquent depuis une trentaine d’années. D’autres, s’exprimant sur les fora internet, racontent sortir tard avec leur détecteur après le travail, voire de nuit. L’appareil est emmené en vacances ou sorti à la moindre occasion. Les prospecteurs-détecteurs sont motivés par la constitution de collections, ce qui revient à s’approprier une part du patrimoine commun. Le moteur est donc l’acte de recherche, l’émotion liée à la trouvaille et le partage de cette émotion. Cela aboutit à des vitrines aux domiciles où les objets sont classés par typologies, ou stockés dans un rebus dans l’attente qu’une information ou un déclic leur confère un intérêt digne de les intégrer dans les séries exposées. Une belle collection attire le respect et l’admiration de ses pairs, tout comme le signal sonore du détecteur provoque une excitation : tout est finalement dans la recherchedu plaisir et de la valorisation personnelle.

                   Les typologies de prospecteurs-détecteurs
Souvent, les plagistes sont présentés comme des prospecteurs à l’impact nul sur le patrimoine. Cependant, les plages ne sont pas uniquement des étendues de sable dévolues aux vacanciers : le littoral a fluctué au travers des siècles et a aussi été le siège d’activités humaines. Ainsi, on ne peut laisser se diffuser l’idée qu’une plage est un lieu exempt de vestiges archéologiques. A titre d’exemple, le musée d’Etaples-sur-Mer a mis en place un panneau sensibilisant au problème de la prospection-détection sur plage au travers d’une anecdote édifiante :


S’acharner sur un clou...
« En 2005, la plage de Tardinghen (Pas-de-Calais) a livré un morceau de pavois (bordage au-dessus du pont formant un parapet) d’un bateau gallo-romain daté du 2ème siècle ap. J.-C. conservé dans les tourbes de la plage. Il avait été récemment endommagé par un coup de pelle porté par un prospecteur agissant avec un détecteur de métal : les clous de fixation avaient sans doute émis un signal. Il est probable que ce prospecteur n’a même pas eu conscience de détruire un patrimoine inestimable, enfoui sous le sable. La visite de cette salle vous a montré la rareté des ressources archéologiques maritimes : chaque découverte peut amener un profond renouvellement des connaissances, comme ce fragment de pavois dont les bordages étaient assemblés par un procédé jusqu’alors inconnu dans le contexte de l’architecture navale atlantique. Nous vous invitons donc à sensibiliser autour de vous les éventuels prospecteurs de plage du fait que tout coup de pelle inconsidéré dans le sable peut se révéler dramatique pour la connaissance. Comme il n’existe pas de moyen de savoir ce qui a déclenché ce signal, sinon en procédant à une fouille (qui serait longue et... illégale), le mieux serait qu’ils renoncent à ce passe-temps destructeur. »
Encadré 5 : extrait d’un panneau du musée d’Etaples-sur-Mer.

 

A lire également

Les carnets Halte au Pillage !

Le patrimoine syrien et la collaboration franco-syrienne

Le 27 février dernier, l’association Halte au Pillage adressait au président de la République un courrier lui faisant part de …

Les carnets Halte au Pillage !

Sur leboncoin, 400 euros la brique du bagne

Karine Scherhag, du journal France Guyane, a mené une enquête sur la vente d’une brique d’un bâtiment pénitencier.

Les carnets Halte au Pillage !

En Wallonie, un discutable guide de bonnes pratiques

André Schoellen et Jean-David Desforges examinent le Guide de bonnes pratiques diffusé lors de réunions au sein de l’Agence …