Entretien avec Cheikmous Ali et Philippe Quenet
Propos recueillis par Brahim M’Barek – article publié le 7 septembre 2015
Le 27 février dernier, l’association Halte au Pillage adressait au président de la République un courrier lui faisant part de l’indignation de ses membres face aux exactions des fanatiques de l’État Islamique en Irak et en Syrie. Dans la mesure de nos moyens, nous offrons aujourd’hui une tribune sous la forme d’un entretien à deux de nos confrères.
Philippe Quenet et Cheikhmous Ali.
Cheikhmous Ali est archéologue, ancien fonctionnaire à la Direction Générale des Antiquités et des Musées de Syrie (DGAM), également membre de l’UMR 7044 du CNRS à l’Université de Strasbourg, et président de l’Association pour la Protection de l’Archéologie Syrienne (APSA).
Philippe Quenet est professeur d’archéologie orientale à l’Université de Strasbourg.
Philippe Quenet, chercheur au sein de l’Institut Français du Proche Orient (IFPO), rencontre Cheikhmous Ali à Damas, au début des années 2000. Ils se retrouvent à Strasbourg en 2003, alors que Cheikhmous Ali y poursuit des études qui le conduisent à soutenir sa thèse en 2012. Ils créent ensemble l’APSA en 2011. Leur but est de rassembler et publier les informations sur les menaces ou les dégradations touchant le patrimoine historique et archéologique syrien. Ils se donnent pour mission d’alerter la communauté scientifique et les autorités internationales.
« Depuis 2011, notre mission était d’alerter, dans l’espoir d’avoir des soutiens pour protéger certains musées. Malheureusement l’appel n’a pas été entendu. Aujourd’hui, on a créé un réseau qui continu de rapporter les destructions, pillages et autres dégâts, quelques soit la faction responsable. »
Présent en France au début des évènements, Cheikhmous Ali évoque sa perception de la dégradation rapide de la sécurité en Syrie. Quand l’armée donne l’assaut sur la ville de Dera, il organise dans l’urgence au sein d’une autre association, Alsace-Syrie, une aide humanitaire. Dix-huit conteneurs de médicaments, de vêtements, et de matériel scolaire, etc. sont alors acheminés.
La population se réfugie sur les sites. Ici, les vestiges de Idlib. Photos : Mousseb Hamadi.
Dans le domaine archéologique, l’engagement commence en 2012. Dans chaque ville, des activistes présents sur Internet témoignent qui les bombardements, qui les attaques, mais également les dommages aux monuments historiques et le pillage de sites archéologiques. « On a d’abord commencé à compiler ces documents, pour les publier et les archiver, raconte Cheikhmous Ali. Puis grâce à nos contacts actifs en Syrie, on a peu à peu créé un réseau qui continue, encore aujourd’hui, de rapporter les destructions, pillages et autres dégâts, quelques soit la faction responsable. L’objectif de ce travail est à long terme de servir aux institutions et aux experts pour évaluer le niveau de dommage dans chaque ville, de prévoir « l’après » en budgétant dès à présent la reconstruction de chaque ville. Et à court terme de pouvoir être réactifs immédiatement sur les préservations d’urgence, pour éviter, surtout dans les vieux quartiers, comme les souks, leur destruction totale inéluctable sans intervention. »
« Dans le cas du fragment de tablette où l’association HAPPAH est intervenue, cela nous fait plaisir, car vous connaissez mieux que nous les intervenants et le fonctionnement des administrations concernées de même que les démarches pour faire stopper les ventes. »
Au-delà de la création de cette base de données, l’association a très tôt alerté sur les risques pour le patrimoine muséal. Cheikhmous Ali explique : « Notre mission était d’alerter, dans l’espoir d’avoir des soutiens pour protéger certains musées. Malheureusement l’appel n’a pas été entendu et de nombreux musées sont encore en danger, tandis que d’autres ont été pillés ou détruits, comme ceux de Raqqah, ou de Palmyre actuellement sous le contrôle de l’EI. »
La question du trafic des biens culturels est un autre de ces dossiers. Halte au Pillage a d’ailleurs travaillé avec l’APSA l’an passé pour l’annulation d’une vente illicite sur Internet. « Dans le cas du fragment de tablette où l’association HAPPAH est intervenue, cela nous fait plaisir, car vous connaissez mieux que nous les intervenants et le fonctionnement des administrations concernées de même que les démarches pour faire stopper les ventes. »
Les archives, photos ou vidéos, sont les seules documents qui certifient qu’un objet archéologique provient d’un musée syrien. Dès qu’une information sensible apparaît à l’APSA, elle saisit Interpol. Scruter le marché de l’art et Internet permet de voir réapparaître des biens culturels et d’intervenir à temps. Malheureusement, une mafia très organisée convoie les artefacts vers les pays limitrophes comme le Liban ou la Turquie. Cheikhmous Ali ajoute « A partir de là il devient impossible de les tracer. Le danger pour nous est réel. »
Qala’at-el-Mudiq – Apamée. Photos : Mousseb Hamadi.
INTERPOL appelle à la vigilance face au pillage de mosaïques anciennes en Syrie
« La majorité des objets sont encore en Syrie et en Turquie. Pour chacun d’eux, je consulte des spécialistes. Nous cumulons ainsi les expertises. Une fois l’objet identifié, nous préparons un rapport à l’intention d’Interpol. Il est clair que la grande majorité des objets pillés au Moyen-Orient ne se retrouvera pas sur les sites de vente internet ». Des articles de presses ont récemment évoqués l’implication de galeries d’art suisse comme plaques tournantes du trafic d’œuvre d’art. « Là aussi cela ne concerne qu’une partie des objets. L’essentiel part directement chez les collectionneurs sans transiter par des maisons de ventes. Par exemple, les pièces archéologiques pillées en Irak, où sont-elles ? On ne les a pas vu circuler sur le marché, bien que cela remonte à plus de 10 ans. Elles ont été achetées directement par des collectionneurs. Et c’est le même processus pour le patrimoine syrien. »
Au plan des aides financières pour les chercheurs, « il n’existe malheureusement pas de politique nationale d’aide aux archéologues et aux étudiants Syriens. Cependant, l’université de Strasbourg intervient directement au niveau de la présidence pour l’aide à l’obtention de titres de séjour, en facilitant également l’inscription et les formalités. »
Au plan des aides financières pour les chercheurs, « il n’existe malheureusement pas de politique nationale d’aide aux archéologues et aux étudiants Syriens. Cependant, l’université de Strasbourg intervient directement au niveau de la présidence pour l’aide à l’obtention de titres de séjour, en facilitant également l’inscription et les formalités. » Philippe Quenet précise que, concrètement, « c’était un des buts avoués du projet de fouille à Mardin (Turquie). Ces financements devaient assurer des post-docs. Évidemment, la politique turque de ces dernières semaines a tout mis à terre. Il faut bien se rendre compte qu’en dehors de cela, il n’y a aucune politique coordonnée au niveau des États. En Allemagne, qui est un peu plus organisée sur le sujet, les choses bougent un peu. Mais en France rien du tout. Et surtout pas dans le monde de l’archéologie ».
Philippe Quenet souligne « Ce qui est permis à Strasbourg par le fait qu’on est dans une petite ville l’est moins ailleurs. Nos collègues de Lyon ou de Paris ont, je pense, beaucoup plus de difficultés de ce point de vue là pour communiquer avec les administrations ». Cheikhmous Ali insiste sur le fait qu’il n’y a pas de politique unifiée, pas de démarche de l’État en ce qui concerne les étudiants et chercheurs syriens, qu’ils soient venus en France avant soit depuis les débuts de la révolution syrienne. Il semble que la politique à ce niveau se fasse au cas par cas dans chaque région et dans chaque université. Quand on lui demande quelles seraient selon lui les besoins, il répond qu’il faudrait immédiatement soutenir une soixantaine d’archéologues, étudiants, ou chercheurs en France. Ils pourraient être mobilisés et réunis autour de projets anticipant « l’après-conflit ». Pour l’heure, il n’y a pas de signe. Rien n’est projeté. On note tout de même que la France n’est pas un cas isolé, et que seule l’Allemagne agirait plus concrètement en ce sens.
« Je pense pour ma part que la directrice de l’Unesco doit démissionner (…) Un autre des projets de l’UNESCO était de diffuser des vidéos pour pousser la population à protéger son patrimoine. Dans des secteurs où il n’y a plus d’électricité ! »
Et l'Unecso ?
A cette évocation, les réactions sont vives… Philippe Quenet et Cheikhmous Ali confient n’avoir pas toujours été conviés aux réunions et évènements. Lorsque cela a été le cas, c’était comme « spectateurs »… Cheikhmous Ali pense que « la directrice de l’Unesco doit démissionner. C’est une institution dont la majorité des lois datent du XXe siècle. Elle en a toujours l’esprit. On parle de routine, de bureaucratie… Pour l’UNESCO, ce qui se passe en Syrie est identique à l’Irak, l’Afghanistan et laLibye. Alors que chaque cas est particulier. La Syrie se démarque depuis 2011 par l’implication de la population. C’est un grand bouleversement mais l’Unesco ne l’a pas compris. Tout ce qui en sort et de l’ordre de la réflexion, de la compassion… Sans plus. »
L’UNESCO n’a inscrit que six sites archéologiques sur la liste du patrimoine en péril.
« L’UNESCO fait de la communication. On dit qu’il s’agit d’une institution neutre, mais c’est totalement faux. C’est une institution qui collabore avec certains au regard de leur avis politique. L’UNESCO affirme ne pas vouloir mélanger la politique avec la culture et le patrimoine alors qu’ils le font eux même de part leurs réactions. Ainsi, en collaboration avec la DGAM collaboration avec la DGAM à Damas, l’UNESCO n’a fait qu’organiser quelques stages, qui en réalité, ne servent à rien. Les formations proposées sont totalement en-dehors de la réalité. Comment va-t-on apprendre à un fonctionnaire à protéger des pièces dans les dépôts, alors qu’il lutte déjà depuis plusieurs années et n’a pour seul moyen à sa disposition, que son bon sens ? On apprend ainsi à éteindre les incendies, à des personnes qui n’ont même pas les équipements nécessaires pour les éteindre ! »
« Un autre des projets de l’UNESCO était de diffuser des vidéos pour pousser la population à protéger son patrimoine. Dans des secteurs où il n’y a plus d’électricité ! Alors, comment les gens vont y avoir accès ? D’autant plus que la population a d’autres priorités. Une autre formation organisée portait sur le traitement du patrimoine non matériel. Mais la moitié de la population de la Syrie est actuellement hors du pays. On parle de 10 millions dans les pays limitrophes et en Europe. L’ensemble des métiers traditionnels n’existent tout simplement plus. Ce n’est pas le moment. Ce type de formations doit intervenir après. Il fallait prendre des mesures concrètes, sur place, en collaboration avec tout le monde, ceux qui travaillent du côté du régime, et du bord opposé (EI excepté). Quand on parle du patrimoine, on parle d’une chose qui concerne tout le monde, donc tout le monde doit participer. »
La mosquée omeyyade d’Alep en feu pendant les combats du 1er octobre 2014.
Philippe Quenet complète : « Le problème de l’UNESCO est qu’il s’agit d’une organisation internationale. Elle ne communique qu’avec les États. Autrement dit, cela signifie que toutes les associations qui se sont mises en place en Syrie, et qui regroupent des personnes de la société civile, ne sont pas des interlocuteurs pour elle. Or, actuellement, se sont les seules structures sur place qui peuvent agir. L’UNESCO n’a de rapport officiel qu’avec les représentants du gouvernement syrien, donc la DGAM qui n’est plus présente sur l’ensemble du territoire. »
« Il y a des personnes de tous bords qui se battent pour ce patrimoine. Des archéologues bien sûr, mais aussi des étudiants, des journalistes activistes et de simples citoyens. »
« N’oublions pas la réalité derrière les termes « patrimoine Syrien » que l’on retrouve dans tous les médias. Il y a des personnes de tous bords qui se battent pour ce patrimoine. Des archéologues bien sûr, mais aussi des étudiants, des journalistes activistes et de simples citoyens » rappelle Cheikhmous Ali. Il évoque ses amis d’avant la révolution, qui ont été des relais et qui ont travaillé selon les régions, durant un ou deux ans bénévolement. Quand les conditions de vie se sont dégradées, certains ont dû quitter leur foyer, d’autres ont fui quand l’État Islamique. a envahi leur région ou leur ville ou quand les frappes aériennes sont devenues insupportables. Ils ont été contraints d’arrêter leur activité au sein du réseau. L’implication de la population est telle qu’il arrive que des inconnus lui communiquent des éléments par le biais de réseaux sociaux.
Région de Hassekeh. Photos : Abou Mousseb.
L’État Islamique détruit plusieurs statues assyriennes.
Depuis un an, des travaux à Homs, consistent à déblayer les bâtiments qui ont été endommagés par les combats et les bombardements. Ils ont malheureusement laissés derrière eux des ruines et d’innombrables murs effondrés. Depuis six mois des bulldozers nettoient et transportent les déblais sans aucun contrôle ni aucune autorisation. Il y a des travaux de reconstitution et de restitution, pour certains bâtiments comme la mosquée Khalid ibn al-Walid, mais pour la supervision de tous ces travaux il n’y a que trois ou quatre fonctionnaires. Ce schéma était déjà à l’œuvre dans les années 2000, durant les travaux sur les mosquées omeyyades de Damas, ou d’Alep, les archéologues n’ont pas pu mettre en œuvre l’intégralité des recommandations pour éviter que les bâtiments ne perdent leur identité historique. Ce sont des rénovations, non des restaurations. Ajoutons à cela que la DGAM n’est pas la seule institution en charge de ces dossiers, et que les bulldozers appartiennent à des sociétés privées. « On est en train de perdre l’héritage du patrimoine bâti de Homs. Et personne n’en parle. Le cas se représentera à Alep. Là où jusqu’à aujourd’hui, rien n’a encore été fait » regrette Cheikhmous Ali.
« Il n’y a pas d’archéologues professionnels dans les rangs de l’État Islamique. Nous sommes en contact permanent avec les archéologues syriens, même ceux travaillant à la DGAM. Ils nous font parvenir les informations, parfois au péril de leur vie. »
Quant aux rumeurs selon lesquelles certains archéologues travailleraient sous la coupe de l’l’État Islamique dans le but d’identifier et de faciliter le pillage, Cheikhmous Ali et Philippe Quenet démentent formellement : « Il n’y a pas d’archéologues dans les rangs de l’État Islamique. Nous sommes en contact permanent avec les archéologues syriens, parfois au péril de leur vie. Même ceux travaillant à la DGAM, nous font parvenir les informations. Il faut comprendre que le patrimoine archéologique concerne tout le monde. Un archéologue reste un archéologue. Son métier est de tout faire pour protéger les traces du passé. J’ai rencontré mes collègues Syriens de la DGAM lors d’un colloque dernièrement à Berne et nous avons échangé des informations. Aujourd’hui, les archéologues restés en Syrie et ceux qui sont partis ont peut-être deux opinions politiques différentes, mais demain il faudra qu’on retravaille ensemble. »
Site de Tell-Hizareen dans la région de Idlib.
Alors que l’équipe de l’APSA se rend sur les lieux pour voir s’il y a eu des pillages,
elle tombe en pleine prospection-fouille avec détecteurs de métaux.
PARTIR POUR RECONSTRUIRE ?
Sur ses projets personnels et son avenir, qu’il ne détache pas de celui de ses compatriotes et de l’archéologie en Syrie, Cheikhmous Ali nous répond sans détour : « Ici à Strasbourg il y a le soutien du président de l’université et des collègues de la MISHA (Maison interuniversitaire des Sciences de l’Homme- Alsace) mais ce n’est pas un soutien au niveau national. Je connais plusieurs cas d’étudiants syriens (pas seulement les archéologues) ayant soutenu leur thèse et qui maintenant n’ont plus de titre de séjour. Ne pouvant pas rentrer dans leur pays, il se retrouve ici, sans papier, ce qui les empêche de chercher un travail, de trouver un logement, ce qui complique grandement leur vie de tous les jours. Une partie d’entre eux a été obligé de déposer un dossier de réfugiés. Alors qu’en réalité, ils ne le voulaient pas. Parce que pour eux le principe était de rester en France jusqu’à ce que la situation se calme en Syrie ». Il nous rassure sur le fait qu’un étudiant en fin d’études ne peut se faire renvoyer en Syrie, mais il ne peut ni travailler, ni s’assurer, ni se loger, ni même circuler librement en Europe dans le cas de proposition de travail dans un autre pays de l’Union.
Homs. Le musée d’Art et Traditions populaires (al-Zehrawi)
avant et après le bombardement du 6 mai 2015.
Dans son cas personnel, Cheikhmous Ali nous confie que son passeport est arrivé à expiration en janvier 2015. Les sites internet pro-régime alléguent que chaque syrien expatrié peut se faire connaître pour le renouvellement de ses papiers. Mais si ces personnes ont participé aux manifestations de soutien à la révolution, qu’elles se trouvent fichées comme opposant, elles courent un véritable risque. « Personnellement, je n’ai pas osé, ni aller à l’ambassade, ni y envoyer mon passeport de peur qu’ils ne le gardent ou le détruisent, que je me retrouve sans plus aucune preuve de mon identité. J’ai déposé un dossier de naturalisation par mariage, donc ce problème a été réglé ». S’il connaît des personnes qui ont bien reçu leurs papiers, beaucoup d’autres n’osent pas tenter les démarches.
« Le soutien de la France à nos étudiants et chercheurs serait une aide précieuse, car il permettrait de préparer la génération dont le pays aura besoin après la guerre. »
Que pourrait attendre Cheikhmous Ali de notre République et de son administration en termes de moyens, de soutiens ? « Une première chose serait de trouver une solution pour les gens qui n’ont pas de titre de séjour. Un document temporaire, qui leur permettrait de continuer leur vie ici sans être « réfugié ». Il doivent pouvoir continuer leur travail, leur recherche, trouver un emploi, un logement ici ou ailleurs en Europe. C’est quelque chose de très important. Sur le plan académique, il faudrait trouver des bourses, de manière à faire venir d’autres étudiants (tous domaines confondus). Le soutien de la France à nos étudiants et chercheurs serait une aide précieuse car il permettrait de préparer la génération dont le pays aura besoin après la guerre. C’est la même chose dans le domaine archéologique. Quand la guerre sera finie, la Syrie aura besoin de plusieurs centaines de spécialistes dans tous les domaines, dont l’archéologie. Si on ne prépare pas cela aujourd’hui, demain il sera trop tard ».
Le souk d’Alep à travers les événements.
Cheikhmous Ali imagine une collaboration interinstitutionnelle, qui réunirait les instances universitaires, les organismes de fouilles préventives, le ministère des Affaires étrangères, le ministère de la Recherche, etc. de manière à pouvoir mener une politique unifiée et cohérente. Un programme national sur le long terme, serait effectivement plus fort que toutes ces petites coopérations montées séparément. « L’Allemagne prépare un projet assez large, pas seulement en archéologie, mais dans d’autres domaines. » Les institutions allemandes organiseraient des coordinations avec des spécialistes dans de multiples domaines – médecins, ingénieurs… – dans le but de constituer des microcellules réunies autour de projets. Elles analysent la situation des Syriens en Allemagne et leur trouvent des solutions. L’après-guerre et la reconstruction du pays paraissent déjà en préparation… »
« Sur environ 2500 fonctionnaires travaillant dans le domaine du patrimoine en Syrie, il n’y a qu’entre 100 et 300 archéologues. Si on commençait aujourd’hui, il faudrait a minima 60 spécialistes pour diriger les projets rien qu’à Alep. On manquait déjà de fonctionnaires auparavant, mais on peut dire qu’après, il en faudra près de dix fois plus ! »
Quand à structurer un programme de reconstruction et de formation des futurs cadres syriens, Cheikhmous Ali explique : « Il n’y a pas que l’APSA qui œuvre dans cet objectif, il y a beaucoup d’autres associations. Par ailleurs, les institutions internationales sont au fait que sur 2500 fonctionnaires travaillant dans le domaine du patrimoine en Syrie, il n’y a qu’entre 100 et 300 archéologues, le reste étant du personnel administratif. Pour la reconstruction d’Alep, si on commençait aujourd’hui, il faudrait a minima 60 spécialistes pour diriger les projets. Le travail est colossal. Il faudrait des spécialistes de la restitution, des objets, pour les musées, etc. On manquait déjà de fonctionnaires auparavant, mais on peut dire qu’après il en faudra près de dix fois plus ! Mais le challenge va être de regrouper toutes les composantes, en un ensemble homogène et coordonné, ce qui, tant que le problème politique n’est pas réglé, est impossible. Tout est lié. Dans tous les domaines, il devra y avoir des accords. Par exemple, en archéologie, si on applique les lois et les conventions internationales comme celle de La Haye et Rome, on aura à gérer des crimes de guerre. Ces derniers ayant été commis tant par le régime, que par l’État Islamique ou les autres factions d’opposition. Il y a eu bons nombres de destructions volontaires sur des sites où ne se sont pas déroulés de vrais combats. Les articles de lois permettraient de faire condamner beaucoup de gens, du simple soldat aux généraux. Mais cela ne sera pas appliqué, parce qu’ainsi va le monde d’aujourd’hui. »
SUR L’ACTUALITÉ
Pour conclure cet entretien, nous avons souhaité connaître la position de Philippe Quenet et Cheikhmous Ali sur deux sujets :
Sur le mandat donné au Louvre par François Hollande pour réfléchir aux moyens de préserver le patrimoine archéologique syrien et irakien dans les zones de conflit : « A notre grande surprise, personne n’a informé ou contacté l’ASPA. Nous n’avons connaissance d’aucun détail du projet. »
Irina Bokova, directrice générale de l’UNESCO,
et le président François Hollande au Louvre le 18 mars 2015.
Photo : Ian Langsdon.
Sur la distribution d’appareils photo 3D aux populations pour qu’elles puissent garder une trace visuelle de leur patrimoine : « On prend les photos, très bien. Mais se ne sont pas que les appareils qui comptent. Qu’en est-il de la responsabilité dans le cas où une personne prenant des photos tombe aux mains de l’État Islamique ? C’est un principe de base que de ne pas mettre ces gens en danger. Pour les autres régions, dans le cas où des bénévoles seraient amenés à se déplacer, il faut des fonds pour les aider à payer l’essence, etc. J’ai reçu un mail de l’organisation en charge de ce projet qui me propose de collaborer. Je leur ai posé ces mêmes questions. A mon sens, il faut que cela soit un travail organisé et systématique. Il faut tout organiser autour d’une équipe et non pas simplement envoyer à n’importe qui un appareil photo. Je pense qu’à la place, ce budget, que cela soit pour l’Irak comme pour la Syrie, devrait être utilisé dans des programmes de soutien concrets. A Bosra aujourd’hui, par exemple, la situation s’est calmée. On peut y lancer des travaux pour sauver certains murs. De même à Alep, où il serait possible d’étayer certains édifices. En Irak, je pense qu’on pourrait encore plus sécuriser certains musées ou sites archéologiques. C’est à mon avis de cette manière qu’il faut réagir. Numériser des archives et des photos, en l’état, aujourd’hui, est inutile, et met des vies en danger. Par exemple, à Deir es-Zor ou à Raqqa, je ne me permets pas de demander à mes contacts de poursuivre la documentation. Dans ces deux villes, on a demandé aux membres de notre association d’arrêter leur travail depuis près d’un an et demi. La situation y est trop dangereuse. Nous avons également dû faire sortir certains de nos membres qui ont été identifié par l’État Islamique à Palmyre. Heureusement pour l’heure rien de dramatique n’est arrivé, mais si cela devait, qui en prendrait la responsabilité ? »